Jetons de l'Ancien Régime

Jetons de l'Ancien Régime

Nouvelle attribution d'un jeton armorié pour l'année 1710



Parmi la centaine de milliers de types de jetons de L'Ancien Régime, il en est un grand nombre sur lesquels figurent des armoiries ; armes de France sur les jetons royaux bien sûr mais aussi armoiries de nobles, de communes ou de corporations ayant vu à travers l'émission de jetons un moyen d'augmenter leur notoriété et leur prestige. Pour la très grande majorité de ces jetons, les armoiries sont généralement identifiées sans l'ombre d'un doute par la présence du nom de leur propriétaire figurant dans la légende, mais il en existe aussi sur lesquels figurent des blasons qui ne sont pas identifiés nommément. Pour attribuer ces derniers, les marchands ou les collectionneurs ont dû se résoudre à parcourir les nombreux armoriaux médiévaux ou modernes pour pouvoir associer un nom à leurs armoiries. Et, bien sûr, tous les amateurs de jetons n'étant pas des héraldistes émérites, il a pu de temps en temps se glisser une erreur dans ce travail d'identification, surtout quand les blasons sont de petite taille et / ou que leur lecture est rendue aléatoire par l'usure du temps.

 

C'est entre autres le cas pour un jeton que j'ai acquis il y a quelques temps déjà...

 

Jean Huguet.jpg


Dans la documentation, ce jeton est décrit comme suit :



Louis XIV le grand - L. de Machault pour sainte-Madeleine-en-la-Cité - 1710.



a/ buste drapé de Louis XIV à droite ; en-dessous initiales " TB " en monogramme ;


titulature " LUDOVICUS MAGNUS.REX. "



r/ Jésus et les douze apôtres attablés lors de la Cène ; à l'exergue, la date " 17 - 10 " scindée par un écusson aux armes de Machault ;


légende " FAC.IN.MEI.MEMORIAM. "



La famille Machault est bien connue et on retrouve facilement ses armoiries qui se blasonnent " d'argent à trois têtes de corbeaux de sable arrachées de gueules ". Or, si l'on fait un agrandissement du blason figuré sur ce jeton, on constate plusieurs incohérences entre la représentation et la description qui en est donnée.

jeton Huguet blason.jpg(crédit photo : cgb.fr)



- le fond de l'écu est couvert de hachures horizontales qui, en langage héraldique correspondent à l'azur (autrement dit, bleu).


- les trois têtes ne ressemblent pas à des têtes de volatiles et en cherchant des parallèles dans les meubles classiques de l'héraldique de l'Ancien Régime on trouve deux possibilités approchantes : la tête de levrette (femelle du lévrier) ou la tête de licorne. Pour trancher, il faut se fier à l'excroissance au sommet du crâne des bestioles en question ; si on admet des têtes de levrettes, ce devraient être des oreilles mais les oreilles des levrettes ne sont jamais dressées et pointées vers l'avant. Par contre, il pourrait tout à fait s'agir de cornes de licornes même si on peut les trouver un peu courtes et grossières mais ceci est sans doute dû à la taille réduite de l'écusson qui sur le jeton ne mesure guère plus de 3,5 mm de haut et les têtes elles-mêmes à peine 1 mm (et tout ça gravé à la main en taille directe sans instrument d'optique performant, admirez le travail !).


- les têtes sont censées être de sable (autrement dit noires), ce qui en gravure correspond à des hachures verticales & horizontales croisées. Or, les têtes ne présentent aucune hachure, ce qui correspond à l'argent (autrement dit le blanc) qui est la couleur naturelle des licornes en héraldique.



Au final, nous nous trouvons donc face à des armoiries " d'azur à trois têtes de licornes arrachées d'argent " qu'il nous reste à attribuer à une famille dans un premier temps et à un personnage précis dans un second. En faisant une recherche à partir de notre blasonnement, on ne trouve qu'un seul écho dans le " Nobiliaire ou Armorial général de la Lorraine et du Barrois " publié par Dom Pelletier en 1758 à Nancy.



armoiries Huguet - armorial pelletier - Nobiliaire ou Armorial général de la Lorraine et du Barrois Nancy 1758..JPG                                            (armorial Pelletier ; Nancy ; 1758)


Ces armoiries correspondent pour la période qui nous intéresse (autour de 1710) à Jean Huguet, marchand lorrain qui fut anobli par le duc Léopold Ier de Lorraine en 1704. C'était donc un noble tout fraîchement émoulu et qui devait guetter toutes les occasions de mettre en avant ses armoiries nouvellement acquises.

Hormis qu'il était seigneur de Graffigny, de Goncourt, de Chemin, de Dalaincourt et de Pargney-la-blanche-côte, on sait malheureusement peu de choses sur la vie de Jean Huguet et il est donc impossible de connaître son éventuel lien avec l'église de Sainte-Madeleine-en-la-Cité dont il est fait mention dans la documentation... Peut-être faisait-il partie des généreux donateurs ?

Mais là aussi je me permettrai de vous livrer une hypothèse différente en prenant pour postulat de départ que rien ne prouve que ce jeton ait un lien avéré quelconque avec l'église sus-nommée.

Il se trouve que Jean Huguet perdit son épouse, Marguerite Gigant le 17 août 1710...

Pourquoi dès lors ne pas envisager l'émission d'un jeton en hommage à la défunte ? Cette idée peut nous paraître saugrenue mais cela correspond bien à la mentalité de l'époque. De plus, la Cène représentée au revers est tout indiquée dans le cadre d'une action de grâce posthume ; tout comme le choix de la légende " FAC IN MEI MEMORIAM " qui se traduit par " faites-le en mémoire de moi ". Cette phrase est censée avoir été prononcée par Jésus lors de ce dernier repas en compagnie des apôtres mais elle pourrait tout aussi bien se rapporter elle aussi à une action de grâce en mémoire de feue Marguerite Gigant, épouse Huguet.

Concernant ce dernier point nous sommes dans le domaine de l'hypothèse et je n'ai aucune preuve décisive à apporter mais je trouve cette idée intéressante et plausible ; en tout cas au moins autant que celle émise habituellement.



Voilà donc encore une preuve s'il en était besoin que le doute et le questionnement sont de perpétuelles sources de connaissances et que chaque collectionneur ou amateur peut apporter sa pierre à l'édifice dans ce domaine si intéressant que constitue l'étude des jetons de l'Ancien Régime.



Pascal Van Waeyenbergh





09/05/2020
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